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DE GUSTAVE FLAUBERT.

vaise, si le soleil est pâle, est-ce que l’idéal n’est pas bon et l’Art resplendissant ? C’est là, c’est là qu’il faut aller, comme dit la Mignon de Goethe.

Mille baisers ; tout à toi.

Ton G.

435. À LOUISE COLET.
[Croisset] Mardi soir, minuit [25 octobre 1853].

Bouilhet ne m’a parlé que de toi toute la journée de dimanche, ou du moins presque toute la journée. Il n’était pas gai, ce pauvre garçon ! Eh bien, il oubliait ses chagrins pour ne penser qu’aux tiens. Dans quel diable d’état vous êtes-vous donc mis ? Voilà de jolies dispositions à vous voir souvent ! Ah ! aime-le ce pauvre Bouilhet, car il t’aime d’une façon touchante et qui m’a touché, navré ; ou plutôt c’est ce qu’il m’a dit de toi qui m’a navré. J’ai passé un dimanche rude, et hier aussi. Il faut même que je sois bien attaché à ce gredin-là, pour ne pas lui garder rancune (au fond du cœur) de tout ce qu’il m’a prêché. Cela m’a au contraire émerveillé. Il m’a ouvert en lui des horizons de sentiment qu’à coup sûr je ne lui connaissais pas et qu’il n’avait pas il y a un an. Est-ce lui qui change, ou moi ? Je crois que c’est lui. Son concubinage avec Léonie l’a attendrifié. Moi, je me suis recuit dans ma solitude. Ma mère prétend que je deviens sec, hargneux et malveillant. Ça se peut ! Il me semble pourtant que j’ai encore du jus au cœur. L’analyse que je fais continuellement sur moi me rend peut-être injuste à mon égard.