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CORRESPONDANCE

rattache à une autre et par quoi elle vit (l’esthétique attend son Geoffroy Saint-Hilaire, ce grand homme qui a montré la légitimité des monstres). Quand on aura, pendant quelque temps, traité l’âme humaine avec l’impartialité que l’on met dans les sciences physiques à étudier la matière, on aura fait un pas immense. C’est le seul moyen à l’humanité de se mettre un peu au-dessus d’elle-même. Elle se considérera alors franchement, purement, dans le miroir de ses œuvres. Elle sera comme Dieu, elle se jugera d’en haut. Eh bien, je crois cela faisable. C’est peut-être, comme pour les mathématiques, rien qu’une méthode à trouver. Elle sera applicable avant tout à l’art et à la Religion, ces deux grandes manifestations de l’idée. Que l’on commence ainsi je suppose : la première idée de Dieu étant donnée (la plus faible possible), le premier sentiment poétique naissant (le plus mince qu’il soit), trouver d’abord sa manifestation, et on la trouvera aisément chez l’enfant, le sauvage, etc. Voilà donc un premier point. Là, vous établissez déjà des rapports. Puis, que l’on continue, et en tenant compte de tous les contingents relatifs, climat, langue, etc. Donc, de degré en degré, on peut s’élever ainsi jusqu’à l’Art de l’avenir, et à l’hypothèse du Beau, à la conception claire de sa réalité, à ce type idéal enfin où tout notre effort doit tendre. Mais ce n’est pas moi qui me chargerai de la besogne, j’ai d’autres plumes à tailler.

Adieu. Je t’embrasse sur les yeux.

À toi. Ton G.