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CORRESPONDANCE

exemple, je viens de montrer, dans un dialogue qui roule sur la pluie et le beau temps, un particulier qui doit être à la fois bon enfant, commun, un peu canaille et prétentieux ! Et à travers tout cela, il faut qu’on voie qu’il pousse sa pointe. Au reste, toutes les difficultés que l’on éprouve en écrivant viennent du manque d’ordre. C’est une conviction que j’ai maintenant. Si vous vous acharnez à une tournure ou à une expression qui n’arrive pas, c’est que vous n’avez pas l’idée. L’image, ou le sentiment bien net dans la tête, amène le mot sur le papier. L’un coule de l’autre. « Ce que l’on conçoit bien, etc. » Je le relis maintenant, ce vieux père Boileau, ou plutôt je l’ai relu en entier (je suis à présent à ses œuvres en prose). C’était un maître homme et un grand écrivain surtout, bien plus qu’un poète. Mais comme on l’a rendu bête ! Quels piètres explicateurs et prôneurs il a eus ! La race des professeurs de collège, pédants d’encre pâle, a vécu sur lui et l’a aminci, déchiqueté comme une horde de hannetons fait à un arbre. Il n’était déjà pas si touffu ! N’importe, il était solide de racine et bien piété, droit, campé.

La critique littéraire me semble une chose toute neuve à faire (et j’y converge, ce qui m’effraie). Ceux qui s’en sont mêlés jusqu’ici n’étaient pas du métier. Ils pouvaient peut-être connaître l’anatomie d’une phrase, mais certes ils n’entendaient goutte à la physiologie du style. Ah ! La littérature ! Quelle démangeaison permanente ! C’est comme un vésicatoire que j’ai au cœur. Il me fait mal sans cesse, et je me le gratte avec délices.

Et la Servante ? Pourquoi ai-je peur que ce ne soit trop long ? C’est une bêtise, cela tient sans