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DE GUSTAVE FLAUBERT.

peux leur écrire que je les supplie de ne plus m’envoyer leur journal. Qu’il tienne bon contre le gars Planche ! Il faut être Cannibale !

Dans le dernier numéro de la Revue, il y a un conte de Pichat qui m’a fait rire pour plus de cinquante francs, comme dit Rabelais. Lis-moi ça un peu ! Du reste ça sert beaucoup, le mauvais, quand il arrive à être de ce tonneau-là. La lecture de ce conte m’a fait enlever dans la Bovary une expression commune dont je n’avais pas eu conscience et que j’ai remarquée là.

Je ne suis pas sans inquiétude sur le grand Crocodile. Notre paquet a-t-il été perdu ? Il me semble qu’il était dans le caractère de l’homme de répondre de suite à ma lettre. Tu ferais bien de lui en écrire une (que j’enverrais seule) où tu lui dirais que tu ne sais que penser de ce retard. Qu’en dis-tu ?

Je viens de relire tout Boileau. En somme c’est raide. Ah ! quand je serai à Paris, près de toi, quels bons petits cours de littérature nous ferons !

Les affaires d’Orient m’inquiètent. Quelle belle charge, s’il y allait avoir la guerre et que tout l’Orient fanatisé se révoltât ! Qui sait ? Il ne faut qu’un homme comme Abd-el-Kader, lâché à point et qui amènerait à Constantinople tous les Bédouins d’Asie. Vois-tu les Russes bousculés, et cet empire crevant d’un coup de lance comme un ballon gonflé. Ô Europe ! quel émétique je te souhaite !

Je n’en peux plus de fatigue, adieu. Un de ces jours je me mettrai à t’écrire de meilleure heure et causerai plus longuement.

Mille baisers sur tes yeux si souvent pleins de larmes.

À toi. Ton G.