Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
345
DE GUSTAVE FLAUBERT.

427. À LOUISE COLET.
[Croisset] Mercredi, 1 heure du matin
[21-22 septembre 1853].

Non ! « tout mon bonheur n’est pas dans mon travail, et je plane peu sur les ailes de l’inspiration ». Mon travail au contraire fait mon chagrin. La littérature est un vésicatoire qui me démange. Je me gratte par là jusqu’au sang. Cette volonté qui m’emplit n’empêche pas les découragements, ni les lassitudes. Ah ! tu crois que je vis en brahmane dans une absorption suprême, et humant, les yeux clos, le parfum de mes songes. Que ne le puis-je ! Plus que toi j’ai envie de sortir de là, de cette œuvre, j’entends. Voilà deux ans que j’y suis ! C’est long, deux ans, toujours avec les mêmes personnages, et à patauger dans un milieu aussi fétide ! Ce qui m’assomme, ce n’est ni le mot, ni la composition, mais mon objectif ; je n’y ai rien qui soit excitant. Quand j’aborde une situation, elle me dégoûte d’avance par sa vulgarité ; je ne fais autre chose que de doser de la merde. À la fin de la semaine prochaine, j’espère être au milieu de mes comices. Ce sera ou ignoble, ou fort beau. L’envergure surtout me plaît, mais ce n’est point facile à décrocher. Voilà trois fois que Bouilhet me fait refaire un paragraphe (lequel n’est point encore venu). Il s’agit de décrire l’effet d’un homme qui allume des lampions. Il faut que ça fasse rire, et jusqu’à présent c’est très froid.

Tu vois, bonne chère Muse, que nous ne nous ménageons guère, et quand nous te traitons si