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CORRESPONDANCE

Jeudi soir. Je n’ai pas envoyé ma lettre ce matin, ne sachant où tu étais. Demain je te l’envoie quand même. Merci du petit portrait.


425. À LOUISE COLET.
Lundi soir, minuit et demi [Croisset, 12 septembre 1853].

La tête me tourne d’embêtement, de découragement, de fatigue ! J’ai passé quatre heures sans pouvoir faire une phrase. Je n’ai pas aujourd’hui écrit une ligne, ou plutôt j’en ai bien griffonné cent ! Quel atroce travail ! Quel ennui ! Oh ! l’Art ! l’Art ! Qu’est-ce donc que cette chimère enragée qui nous mord le cœur, et pourquoi ? Cela est fou de se donner tant de mal ! Ah ! la Bovary, il m’en souviendra ! J’éprouve maintenant comme si j’avais des lames de canif sous les ongles, et j’ai envie de grincer des dents. Est-ce bête ! Voilà donc où mène ce doux passe-temps de la littérature, cette crème fouettée. Ce à quoi je me heurte, c’est à des situations communes et un dialogue trivial. Bien écrire le médiocre et faire qu’il garde en même temps son aspect, sa coupe, ses mots même, cela est vraiment diabolique, et je vois se défiler maintenant devant moi de ces gentillesses en perspective pendant trente pages au moins. Ça s’achète cher, le style ! Je recommence ce que j’ai fait l’autre semaine. Deux ou trois effets ont été jugés hier par Bouilhet ratés, et avec raison. Il faut que je redémolisse presque toutes mes phrases.

Tu n’as pas songé, bonne chère Muse, à la dis-