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DE GUSTAVE FLAUBERT.

doré, candélabré. C’est pompeux et mastoc. La grosse patte du bouvier fait craquer le gant blanc du monsieur bien. Il vit là, enrageant de n’être pas préfet, s’embêtant fort, prétendant qu’il s’amuse, et aspirant à l’héritière comme le nez du père Aubry à la tombe. Et des mots : « J’ai renoncé aux vanités, je méprise le monde, je ne m’occupe plus que d’art. » S’occuper d’art, c’est avoir des vitraux de couleur dans son escalier, avec des meubles en chêne façon Louis XIII ! Dans sa chambre à coucher j’ai vu des volumes de Fourier : « Il est bon (disait-il) de lire tout. Il faut tout admettre, ne fût-ce que pour réfuter ces garçons-là ! Aussi vous avez pu voir à la Chambre comme je m’en acquittais ! » À la chambre il s’est beaucoup occupé de la question de la viande et a fait même, à ses propres frais et en compagnie d’autres fortes têtes (ou fortes gueules), un voyage en Allemagne afin d’étudier le bœuf. Quand il a été habillé (il allait dîner en ville), nous sommes sortis ensemble. Comme je demandais du feu pour allumer un cigare, il m’a fait entrer dans la cuisine. « J’ai soif, va me chercher un verre de cidre », a-t-il commandé à une façon de petit vacher qui était là. L’enfant est monté dans la belle salle à manger et en a rapporté deux verres et une carafe de cristal : « Sacré nom de Dieu, foutu imbécile, je t’ai dit dans un verre de cuisine. » Il était exaspéré ! et me montrant lui-même les deux verres (qui valaient bien de trois à quatre francs pièce) : « Ce serait fâcheux de les casser ; voyez le filet ! J’ai commandé des verres artistiques. Je tiens à ce que tout, chez moi, ait un cachet particulier. »

Il devait aller, après son dîner, faire des visites,