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CORRESPONDANCE

telot ! L’idéal est comme le Soleil ; il pompe à lui toutes les crasses de la Terre.

On n’est quelque chose qu’en vertu seulement de l’élément où l’on respire. Tu me sais gré des conseils que je t’ai donnés depuis deux ans, parce que tu as fait depuis deux ans de grands progrès. Mais mes conseils ne valent pas quatre sous. Tu as acquis seulement la Religion et, comme tu gravites là dedans, tu es montée. Je crois que si l’on regardait toujours les cieux, on finirait par avoir des ailes.

À propos d’ailes, que de dindons sont ici-bas ! dindons qui passent pour des aigles et qui font la roue comme des paons.

J’ai renoué connaissance (en le rencontrant sur le quai) avec M. Cordier, gentleman de ces contrées, ancien sous-préfet de Pont-l’évêque sous Louis-Philippe, ancien député réac, ex-membre de la parlotte d’Orsay, ex-auditeur au Conseil d’état, jeune homme tout à fait bien, docteur en droit, belle fortune (fils d’un ancien marchand de bœufs), fréquentant à Paris la haute société, ami de M. Guizot et jouant, dit-on, fort joliment du violon. Je l’avais connu autrefois ici, et à Paris chez Toirac (tu peux juger l’esprit).

Lundi.

Il s’est fait bâtir un chalet charmant et qui fait rumeur dans le pays. L’extérieur est vraiment d’un homme de goût ; mais c’est tellement cossu à l’intérieur que c’en est atroce. Il a imaginé de décorer son salon de marines peintes à fresque (des marines en vue de la mer !). Tout est peinturluré,