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DE GUSTAVE FLAUBERT.

a causé le même bien-être, je suis content. Je lui écrirais volontiers, mais je n’ai rien du tout à lui dire. Une fois revenu à Croisset, je vais creuser la Bovary tête baissée. Donnez-lui donc de ma part la meilleure poignée de main possible.

Je n’ai pas encore écrit à Bouilhet depuis tantôt huit jours que je suis ici, et n’en ai pas reçu de nouvelles. J’ai peur, pauvre chère Louise, de te blesser (mais notre système est beau, de ne nous rien cacher), eh bien ! ne m’envoie pas ton portrait photographié. Je déteste les photographies à proportion que j’aime les originaux. Jamais je ne trouve cela vrai. C’est la photographie d’après ta gravure ? J’ai la gravure qui est dans ma chambre à coucher. C’est une chose bien faite, bien dessinée, bien gravée, et qui me suffit. Ce procédé mécanique, appliqué à toi surtout, m’irriterait plus qu’il ne me ferait plaisir. Comprends-tu ? Je porte cette délicatesse loin, car moi je ne consentirais jamais à ce que l’on fît mon portrait en photographie. Max l’avait fait, mais j’étais en costume nubien, en pied, et vu de très loin, dans un jardin.

Les lectures, que je fais le soir, des détails de mœurs sur les divers peuples de la terre (dans un des livres que j’ai achetés à Paris) m’occasionnent de singulières envies. J’ai envie de voir les Lapons, l’Inde, l’Australie. Ah c’est beau, la terre ! Et mourir sans en avoir vu la moitié ! sans avoir été traîné par des rennes, porté par des éléphants, balancé en palanquin ! Je remettrai tout dans mon Conte oriental. Là je placerai mes amours, comme, dans la préface du Dictionnaire, mes haines.

Sais-tu que je n’ai jamais fait un si long séjour