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DE GUSTAVE FLAUBERT.

c’est l’ingénieux, l’esprit. Quelle différence d’avec le mauvais goût qui, lui, est une bonne qualité dévoyée. Car pour avoir ce qui s’appelle du mauvais goût, il faut avoir de la poésie dans la cervelle. Mais l’esprit, au contraire, est incompatible avec la vraie poésie. Qui a eu plus d’esprit que Voltaire et qui a été moins poète ? Or, dans ce charmant pays de France, le public n’admet la poésie que déguisée. Si on la lui donne toute crue, il rechigne. Il faut donc le traiter comme les chevaux d’Abbas-Pacha auxquels, pour les rendre vigoureux, on sert des boulettes de viande enveloppées de farine. Ça c’est de l’Art ! Savoir faire l’enveloppe ! N’ayez peur pourtant, offrez de cette farine-là aux lions, aux fortes gueules, ils sauteront dessus à vingt pas au loin, reconnaissant l’odeur.

Je lui ai écrit une lettre monumentale, au Grand Crocodile. Je ne cache pas qu’elle m’a donné du mal (mais je la crois montée, trop, peut-être), si bien que je la sais maintenant par cœur. Si je me la rappelle, je te la dirai. Le paquet part demain. J’ai été fort en train cette semaine. J’ai écrit huit pages qui, je crois, sont toutes à peu près faites. Ce soir, je viens d’esquisser toute ma grande scène des Comices agricoles. Elle sera énorme ; ça aura bien trente pages. Il faut que, dans le récit de cette fête rustico-municipale et parmi ses détails (où tous les personnages secondaires du livre paraissent, parlent et agissent), je poursuive, et au premier plan, le dialogue continu d’un monsieur chauffant une dame. J’ai de plus, au milieu, le discours solennel d’un conseiller de préfecture, et à la fin (tout terminé) un article de journal fait par