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DE GUSTAVE FLAUBERT.

pas été tout à coup ébahie de ta beauté ? Il y avait comme une auréole autour de ta tête, et tes yeux agrandis lançaient des flammes. C’était l’âme qui sortait. L’électricité est ce qui se rapproche le plus de la pensée. Elle demeure comme elle, jusqu’à présent, une force assez fantastique. Ces étincelles qui se dégagent de la chevelure, lors des grands froids, dans la nuit, ont peut-être un rapport plus étroit que celui d’un pur symbole avec la vieille fable des nimbes, des auréoles, des transfigurations. Où en étais-je donc ? À l’influence d’une habitude intellectuelle. Rapportons cela au métier ! Quel artiste donc on serait si l’on n’avait jamais lu que du beau, vu que du beau, aimé que le beau ; si quelque ange gardien de la pureté de notre plume avait écarté de nous, dès l’abord, toutes les mauvaises connaissances, qu’on n’eût jamais fréquenté d’imbéciles ni lu de journaux ! Les Grecs avaient tout cela. Ils étaient, comme plastique, dans des conditions que rien ne redonnera. Mais vouloir se chausser de leurs bottes est démence. Ce ne sont pas des chlamydes qu’il faut au Nord, mais des pelisses de fourrures. La forme antique est insuffisante à nos besoins et notre voix n’est pas faite pour chanter ces airs simples. Soyons aussi artistes qu’eux, si nous le pouvons, mais autrement qu’eux. La conscience du genre humain s’est élargie depuis Homère. Le ventre de Sancho Pança fait craquer la ceinture de Vénus. Au lieu de nous acharner à reproduire de vieux chics, il faut s’évertuer à en inventer de nouveaux. Je crois que Delisle est peu dans ces idées. Il n’a pas l’instinct de la vie moderne, le cœur lui manque ; je ne veux pas dire par là la sensibilité individuelle