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CORRESPONDANCE

demain matin une lettre de toi. Je t’écrirai dans les premiers jours de la semaine prochaine.

À toi, à toi. Ton G.

Tu verras Bouilhet jeudi à 1 heure.


410. À LOUISE COLET.
[Croisset] Vendredi soir, 1 heure [15 juillet 1853].

Tandis que je te reprochais ta lettre, bonne chère Muse, tu te la reprochais à toi-même. Tu ne saurais croire combien cela m’a attendri, non à cause du fait en lui-même (j’étais sûr que, considérant la chose à froid, tu ne tarderais pas à la regarder du même œil que moi), mais à cause de la simultanéité d’impression. Nous pensons à l’unisson. Remarques-tu cela ? Si nos corps sont loin, nos âmes se touchent. La mienne est souvent avec la tienne, va. Il n’y a que dans les vieilles affections que cette pénétration arrive. On entre ainsi l’un dans l’autre, à force de se presser l’un contre l’autre. As-tu observé que le physique même s’en ressent ? Les vieux époux finissent par se ressembler. Tous les gens de la même profession n’ont-ils pas le même air ? On nous prend souvent, Bouilhet et moi, pour frères. Je suis sûr qu’il y a dix ans cela eût été impossible. L’esprit est comme une argile intérieure. Il repousse du dedans la forme et la façonne selon lui. Si tu t’es levée quelquefois pendant que tu écrivais, dans les bons moments de verve, quand l’idée t’emplissait, et que tu te sois alors regardée dans la glace, n’as-tu