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CORRESPONDANCE

poussent où elles ne veulent [pas], légumes d’autres pays, ont eu dans cette rebuffade atmosphérique une sorte de revanche. Il y a là un caractère de grande farce qui nous enfonce. Y a-t-il rien de plus bête que des cloches à melon ? Aussi ces pauvres cloches à melon en ont vu de belles ! Ah ! ah ! cette nature sur le dos de laquelle on monte et qu’on exploite si impitoyablement, qu’on enlaidit avec tant d’aplomb, que l’on méprise par de si beaux discours, à quelles fantaisies peu utilitaires elle s’abandonne quand la tentation lui en prend ! Cela est bon. On croit un peu trop généralement que le soleil n’a d’autre but ici-bas que de faire pousser les choux. Il faut replacer de temps à autres le bon Dieu sur son piédestal. Aussi se charge-t-il de nous le rappeler en nous envoyant par-ci par-là quelque peste, choléra, bouleversement inattendu et autres manifestations de la Règle, à savoir le Mal — contingent qui n’est peut-être pas le Bien — nécessaire, mais qui est l’être enfin : chose que les hommes voués au néant comprennent peu.

Toute ma semaine passée a été mauvaise (ça va mieux). Je me suis tordu dans un ennui et un dégoût de moi corsé ; cela m’arrive régulièrement quand j’ai fini quelque chose et qu’il faut continuer. La vulgarité de mon sujet me donne parfois des nausées, et la difficulté de bien écrire tant de choses si communes encore en perspective m’épouvante. Je suis maintenant achoppé à une scène des plus simples : une saignée et un évanouissement[1]. Cela est fort difficile ; et ce qu’il y a de

  1. Voir Madame Bovary, p. 178.