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CORRESPONDANCE

nuyeuse et, aujourd’hui, j’éprouve un grand soulagement en songeant que voilà quelque chose de fini, ou approchant ; mais j’ai eu bien du ciment à enlever, qui bavachait entre les pierres, et il a fallu retasser les pierres pour que les joints ne parussent pas. La prose doit se tenir droite d’un bout à l’autre, comme un mur portant son ornementation jusque dans ses fondements et que, dans la perspective, ça fasse une grande ligne unie. Oh ! si j’écrivais comme je sais qu’il faut écrire, que j’écrirais bien ! Il me semble pourtant que dans ces 114 pages il y en a beaucoup de raides et que l’ensemble, quoique non dramatique, a l’allure vive. J’ai aussi rêvassé à la suite. J’ai une baisade qui m’inquiète fort et qu’il ne faudra pas biaiser, quoique je veuille la faire chaste, c’est-à-dire littéraire, sans détails lestes, ni images licencieuses ; il faudra que le luxurieux soit dans l’émotion.

Je ne sais hier par quelle fantaisie, venant d’achever le Troïle et Cresside de Shakespeare, j’ai pris son article dans la Biographie universelle, quoique je susse parfaitement que je n’y trouverais rien de neuf, attente qui n’a pas été trompée. L’article est de Villemain. Il faut lire ça pour s’édifier sur la hauteur de vues littéraires du monsieur, quoiqu’il admire Shakespeare ; mais c’est là le déplorable, ces admirations-là ! Il lui préfère Sophocle et les consacrés. Sais-tu comment il parle de Ronsard ? « La diction grotesque de Ronsard » ; allez donc ! « Ô triste ! », comme dit Babinet. « Triste ! excepté la belle poésie ». Oui, mais pourquoi ces gaillards-là s’en mêlent-ils ? Que c’est beau, Troïle et Cresside !

Sais-tu que tu m’as écrit jeudi une lettre brû-