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CORRESPONDANCE

la civilisation ! » etc… L’enterrement étant protestant, le prêtre a parlé en français sur le bord du trou. Mon monsieur aimait mieux ça… « Et puis, le catholicisme est dénué de ces fleurs de rhétorique ». Ô humains, ô mortels ! Et dire qu’on est toujours dupe, qu’on a beau se croire inventif, que la réalité vous écrase toujours. J’allais à cette cérémonie avec l’intention de m’y guinder l’esprit à faire des finesses, à tâcher de découvrir de petits graviers, et ce sont des blocs qui me sont tombés sur la tête ! Le grotesque m’assourdissait les oreilles et le pathétique se convulsionnait devant mes yeux. D’où je tire (ou retire plutôt) cette convulsion : Il ne faut jamais craindre d’être exagéré. Tous les très grands l’ont été, Michel-Ange, Rabelais, Shakespeare, Molière. Il s’agit de faire prendre un lavement à un homme (dans Pourceaugnac) ; on n’apporte pas une seringue ; non, on emplit le théâtre de seringues et d’apothicaires. Cela est tout bonnement le génie dans son vrai centre, qui est l’énorme. Mais pour que l’exagération ne paraisse pas, il faut qu’elle soit partout continue, proportionnée, harmonique à elle-même. Si vos bonshommes ont cent pieds, il faut que les montagnes en aient vingt mille. Et qu’est-ce donc que l’idéal, si ce n’est ce grossissement-là ?

Adieu, mille bons baisers, travaille bien ; vois seulement les amis, monte dans la tour d’ivoire et advienne que pourra.

Encore un baiser. À toi.