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DE GUSTAVE FLAUBERT.

sur des ruines qu’il faut aller appuyer votre coude, mais sur le sein de ces femmes gaies.

Oui, il manque quelque chose à celui qui ne s’est jamais réveillé dans un lit sans nom, qui n’a pas vu dormir sur son oreiller une tête qu’il ne reverra plus, et qui, sortant de là au soleil levant, n’a pas passé les ponts avec l’envie de se jeter à l’eau, tant la vie lui remontait en rots du fond du cœur à la tête. Et quand ce ne serait que le costume impudent, la tentation de la chimère, l’inconnu, le caractère maudit, la vieille poésie de la corruption et de la vénalité ! Dans les premières années que j’étais à Paris, l’été, par les grands soirs de chaleur, j’allais m’asseoir devant Tortoni et, en regardant se coucher le soleil, je regardais les filles passer. Je me dévorais, là, de poésie biblique. Je pensais à Isaïe, à la « fornication des hauts lieux » et je remontais la rue de La Harpe, en me répétant cette fin de verset : « Et son gosier est plus doux que de l’huile ». Diable m’emporte si j’ai jamais été plus chaste ! Je ne fais qu’un reproche à la prostitution, c’est que c’est un mythe. La femme entretenue a envahi la débauche, comme le journaliste la poésie ; nous nous noyons dans les demi-teintes. La courtisane n’existe pas plus que le saint ; il y a des soupeuses et des lorettes, ce qui même est encore plus fétide que la grisette.

Il m’arrive dans mon intérieur une chose triste et qui me chagrine : le père Parain tombe en enfance et par moment déraisonne complètement. Ce brave homme, dont un entrain un peu fou et juvénile faisait tout le charme, est maintenant un vieillard. Son bon naturel perce ; il pleure en par-