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DE GUSTAVE FLAUBERT.

inutile. Mais ce qu’il y a de dur, c’est l’aplomb de ces braves gens-là, leur sécurité dans la bêtise ! Ils sont bruissants à la manière des grosses caisses dont ils se servent ; leur sonorité vient de leur viduité. La surface est une peau d’âne et le fond, néant ! Tout cela tendu par beaucoup de ficelles. Voilà un calembour !

Tu me parles des tristesses de ce bon Delisle qui n’a personne autour de lui ! Moi, j’ai été en cela protégé du ciel, j’ai toujours eu de bonnes oreilles pour m’entendre et même d’excellentes bouches pour me conseiller. Comment ferai-je l’hiver prochain, quand mon B[ouilhet] ne sera plus là ? Je crois du reste qu’il sera comme moi, un peu désarçonné un moment. Nous nous sommes [fait] l’un à l’autre, en nos travaux respectifs, une espèce d’indicateur de chemin de fer, qui, le bras étendu, avertit que la route est bonne et qu’on peut suivre.

J’aime beaucoup Delisle pour son volume, pour son talent et aussi pour sa préface, pour ses aspirations. Car c’est par là que nous valons quelque chose, l’aspiration. Une âme se mesure à la dimension de son désir, comme l’on juge d’avance des cathédrales à la hauteur de leurs clochers. Et c’est pour cela que je hais la poésie bourgeoise, l’art domestique, quoique j’en fasse. Mais c’est bien la dernière fois ; au fond cela me dégoûte. Ce livre, tout en calcul et en ruses de style, n’est pas de mon sang, je ne le porte point en mes entrailles, je sens que c’est de ma part une chose voulue, factice. Ce sera peut-être un tour de force qu’admireront certaines gens (et encore en petit nombre) ; d’autres y trouveront quelque vérité de