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DE GUSTAVE FLAUBERT.

souffle intérieur. Ces phrases-là n’ont ni muscles ni sang. Et quel singulier aperçu de l’existence humaine ! Quelles lunettes embrouillées ! Mais comme nous nous sommes délectés ensuite dans La Fontaine ! C’est à apprendre par cœur d’un bout à l’autre. La Courtisane amoureuse, quels vers ! quels vers ! que de tournure et de style ! Il n’y a pas dans tout Lamartine un seul trait humain, sensible, au sens ordinaire du mot, comme celui de Constance baisant les pieds de son amant. Voilà du cœur au moins ! et de la poésie ! car toutes ces distinctions, après tout, ne sont que des subtilités à l’usage de ceux qui n’ont ni de l’un ni de l’autre. Relis ce conte et appesantis-toi sur chaque mot, sur chaque phrase. Quelle admirable narration et quel enchaînement !!! Songer pourtant que les contes de La Fontaine passent encore pour un mauvais livre ! un livre cochon ! Ah ! les tyrannies ont cela de bon qu’elles réalisent au moins bien des vengeances impuissantes. Je suis si harassé par la bêtise de la multitude que je trouve justes tous les coups qui tombent sur elle.

L’œuvre de la critique moderne est de remettre l’Art sur son piédestal. On ne vulgarise pas le Beau ; on le dégrade, voilà tout. Qu’a-t-on fait de l’antiquité en voulant la rendre accessible aux enfants ? Quelque chose de profondément stupide ! Mais il est si commode pour tous de se servir d’expurgata, de résumés, de traductions, d’atténuations ! Il est si doux pour les nains de contempler les géants raccourcis ! Ce qu’il y a de meilleur dans l’Art échappera toujours aux natures médiocres, c’est-à-dire aux trois quarts et demi du genre humain. Pourquoi dès lors dénaturer la vé-