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DE GUSTAVE FLAUBERT.

est au début large comme l’humanité et, à la fin, étroite comme l’entre-deux des cuisses.

Ne te laisse pas tant aller à ton lyrisme. Serre, serre, que chaque mot porte. La fin des Fantômes bavache et n’a plus de rapport avec le commencement. Il n’y a pas de raison avec un tel procédé pour t’arrêter ; il ne faut pas rêver, en vers, mais donner des coups de poings.

Je ne fais point de remarque marginale sur la seconde partie, parce que presque rien ne m’en plaît ; mais ce qui me plaît c’est ta bonne lettre de ce matin. Tu m’as dit un mot qui me va au cœur : « Je ferai quelque chose de beau, dussé-je en crever. » Voilà un mot, au moins. Reste toujours ainsi et je t’aimerai de plus en plus, si c’est possible. C’est par là surtout que tu seras mon épouse légitime et fatale.

Bouilhet va s’occuper des journaux de Rouen. Ce sont des brutes, des ânes, etc… faire un article sérieux dans l’une de ces feuilles, c’est du temps complètement perdu de toute façon. Est-ce qu’on lit à Rouen ?

Je voulais faire de toi un portrait littéraire, si je l’avais pu toutefois, non pas à la Sainte-Beuve, mais comme je l’entends. Il m’aurait fallu pour cela te relire en entier ; ce serait pour moi un travail d’un bon mois. C’est comme pour Melaenis, j’y ferai un jour une préface. Quoi qu’il en soit, si tu me trouves dans un journal de Paris une grande colonne, je t’y dirai des douceurs sincères. Mais quant à Rouen, outre que la chose me répugne parce que c’est Rouen (comprends ça), cela ne te servirait à rien, ne te ferait pas vendre un volume, ni apprécier d’un être humain.