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DE GUSTAVE FLAUBERT.

pour contribuer aux plaisirs complets d’un Platon ou d’un Phidias ?

Toi, tu n’es pas une femme, et si je t’ai plus et surtout plus profondément aimée (tâche de comprendre ce mot profondément) que toute autre, c’est qu’il m’a semblé que tu étais moins femme qu’une autre. Toutes nos dissidences ne sont jamais venues que de ce côté féminin. Rêve là-dessus, tu verras si je me trompe. Je voudrais que nous gardassions nos deux corps et n’être qu’un même esprit. Je ne veux de toi, comme femme, que la chair. Que tout le reste donc soit à moi, ou mieux soit moi, de même pâte et la même pâte. Comprends-tu que ceci n’est pas de l’amour, mais quelque chose de plus haut, il me semble, puisque ce désir de l’âme est pour elle presque un besoin même de vivre, de se dilater, d’être plus grande. Tout sentiment est une extension. C’est pour cela que la liberté est la plus noble des passions.

Nous relisons du Ronsard et nous nous enthousiasmons de plus belle. À quelque jour nous en ferons une édition ; cette idée, qui est de B[ouilhet], me sourit fort. Il y a cent belles choses, mille, cent mille, dans les poésies complètes de Ronsard, qu’il faut faire connaître, et puis j’éprouve le besoin de le lire et relire dans une édition commode. J’y ferais une préface. Avec celle que j’écrirai pour la Melaenis et le conte chinois, réunis en un volume, et de plus celle de mon Dictionnaire des idées reçues, je pourrai à peu près dégoiser là ce que j’ai sur la conscience d’idées critiques. Cela me fera du bien, et m’empêchera vis-à-vis de moi-même de jamais saisir aucun prétexte pour