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DE GUSTAVE FLAUBERT.

vésicatoire. Voilà l’Orient vrai et, partant, poétique : des gredins en haillons galonnés et tout couverts de vermine. Laissez donc la vermine, elle fait au soleil des arabesques d’or. Tu me dis que les punaises de Ruchiouk-Hânem te la dégradent ; c’est là, moi, ce qui m’enchantait. Leur odeur nauséabonde se mêlait au parfum de sa peau ruisselante de santal. Je veux qu’il y ait une amertume à tout, un éternel coup de sifflet au milieu de nos triomphes, et que la désolation même soit dans l’enthousiasme. Cela me rappelle Jaffa où, en entrant, je humais à la fois l’odeur des citronniers et celle des cadavres ; le cimetière défoncé laissait voir les squelettes à demi pourris, tandis que les arbustes verts balançaient au-dessus de nos têtes leurs fruits dorés. Ne sens-tu pas combien cette poésie est complète, et que c’est la grande synthèse ? Tous les appétits de l’imagination et de la pensée y sont assouvis à la fois ; elle ne laisse rien derrière elle. Mais les gens de goût, les gens à enjolivements, à purifications, à illusions, ceux qui font des manuels d’anatomie pour les dames, de la science à la portée de tous, du sentiment coquet et de l’art aimable, changent, grattent, enlèvent, et ils se prétendent classiques, les malheureux ! Ah ! que je voudrais être savant ! et que je ferais un beau livre sous ce titre : De l’interprétation de l’antiquité ! Car je suis sûr d’être dans la tradition ; ce que j’y mets de plus, c’est le sentiment moderne. Mais encore une fois, les anciens ne connaissaient pas ce prétendu genre noble ; il n’y avait pas pour eux de chose que l’on ne puisse dire. Dans Aristophane, on chie sur la scène. Dans l’Ajax de Sophocle, le sang des animaux