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DE GUSTAVE FLAUBERT.

actes sérieux portent malheur. Ils sentent d’ailleurs la draperie. J’en ai eu à la fois peur et ennui. Donc, quand j’ai eu quitté ma mère, j’ai pris de suite mon rôle de voyageur. Tout était quitté, j’étais parti. Alors, pendant quatre à cinq jours à Paris, je me suis foutu une bosse comme un matelot. Et quand la France a disparu à mes yeux, derrière les îles d’Hyères, j’étais moins ému et moins pensant que les planches du bateau qui me portait. Voilà la psychologie de mon départ. Je ne l’excuse pas, je l’explique.

Pour Ruchiouk-Hânem[1], ah ! rassure-toi et rectifie en même temps tes idées orientales. Sois convaincue qu’elle n’a rien éprouvé du tout ; au moral, j’en réponds, et au physique même, j’en doute fort. Elle nous a trouvés de fort bons cawadja (seigneurs) parce que nous avons laissé là pas mal de piastres, voilà tout. La pièce de B[ouilhet] est fort belle, mais c’est de la poésie et pas autre chose. La femme orientale est une machine, et rien de plus ; elle ne fait aucune différence entre un homme et un autre homme. Fumer, aller au bain, se peindre les paupières et boire du café, tel est le cercle d’occupations où tourne son existence. Quant à la jouissance physique, elle-même doit être fort légère puisqu’on leur coupe de bonne heure ce fameux bouton, siège d’icelle. Et c’est là ce qui la rend, cette femme, si poétique à un certain point de vue, c’est qu’elle rentre absolument dans la nature.

J’ai vu des danseuses dont le corps se balançait

  1. Voir Festons et Astragales, p. 28, Lemerre, éd. et Flaubert, Notes de Voyages, I, p. 155 ; et Correspondance, t. II, p. 174.