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CORRESPONDANCE

340. À LA MÊME.

Entièrement inédite.

Mercredi, minuit. [1er  septembre].

Chère et bonne Louise, j’ai été tantôt à Rouen (j’avais à y chercher un Casaubon à la Bibliothèque) et j’ai rencontré par hasard le jeune Bouilhet chez lequel je devais aller ensuite. Il m’a montré ta lettre. Permets-moi de te donner, ou plutôt de vous donner un conseil d’ami et, si tu as quelque confiance en mon flair, comme tu dis, suis-le ; je te demande ce service pour toi. Ne publie pas la pièce qu’il t’a adressée. Voici mes raisons : elle vous couvrirait de ridicule tous les deux. Les petits journaux qui n’ont rien à faire ne manqueraient pas de blaguer sur les regards de flamme, les bras blancs, le génie, etc… et la Reine ! surtout. Ne touchez pas à la Reine deviendrait un proverbe. Cela te ferait du tort, sois-en sûre. S’ils étaient bons, ces vers, au moins ; mais c’est que la pièce est assez médiocre en elle-même (je la connaissais et ne t’en avais point parlé pour cela). Tu t’es d’ailleurs révoltée toi-même contre cette association du physique et du moral que je trouve ici outrée et même maladroite.

Qui ne vante nos vers qu’en vantant nos beaux yeux. On vous associerait dans un tas de charges. La pièce, étant la plus faible jusqu’à ce jour que Bouilhet ait faite, lui nuirait (songes-y un peu) et, quant à toi, à part la petite gloriole d’un instant de la voir imprimée, te ferait peut-être un mal plus sérieux. Il n’avait point réfléchi à tout