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CORRESPONDANCE

(voir L’Hallali[1]). Ah ! si j’avais affaire seulement pendant un mois à une créature semblable, je la ferais écumer de rage ! Comme c’est bête les finesses ! et que les malins sont faibles !

Je ne t’adresserai pas mon jeune homme (Crépet), d’abord parce qu’il est à Paris maintenant. Il viendra me dire adieu dans un mois, où il doit partir pour l’Angleterre et de là voyager pendant trois ou quatre ans. Tu l’as embelli (comme tu fais de toutes choses et de toutes gens). Il est de notre monde, mais pas de notre sang. Il rêve et n’écrit point. Les idées sociales le préoccupent ; il a fait sortir du bordel une fille qu’il voulait régénérer, etc… Cela creuse un abîme entre moi et lui. Un seul fait, comme un seul mot, vous ouvre des horizons. Mes enthousiasmes à moi ont une autre pente et toutes mes extravagances n’ont jamais été que des arabesques qui s’enlaçaient sur la ligne droite d’une seule idée. L’âpreté lui manque. Sa mère est morte de la poitrine et son frère aussi. C’est peut-être là la cause.

Physiquement, c’est un grand diable assez laid ; mais je le crois une nature fort tendre, féminine et, en somme, un pauvre cœur assez souffrant, un esprit sans direction, une vie sans but.

En fait de nouvelles, Madame Vasse et sa fille sont parties aujourd’hui. En voilà encore deux qui ne bénissent pas la Providence ! (et elles ont raison).

Partout où l’on regarde, on ne voit que pleurs, malheurs, misère, ou bien bêtise, infamie, lâche-

  1. Viens ! de ta blanche main je veux le coup de grâce.

    (Louis Bouilhet, L’Hallali, dans Festons et Astragales.)