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CORRESPONDANCE

goût et que je puisse jouer les bras retroussés, ce sera peut-être bon. Je crois, du reste, qu’en cela je suis dans la ligne. Ce que vous faites n’est pas pour vous, mais pour les autres. L’Art n’a rien à démêler avec l’artiste. Tant pis s’il n’aime pas le rouge, le vert ou le jaune ; toutes les couleurs sont belles, il s’agit de les peindre. Lis-tu l’Âne d’or ? Tâche donc de l’avoir lu avant que je n’arrive, que nous en causions un peu. Je t’apporterai Cyrano[1]. Voilà un fantaisiste, ce gaillard-là, et un vrai encore ! ce qui n’est pas commun. J’ai lu le volume[2] de Gautier : piteux ! Par-ci par-là une belle strophe, mais pas une pièce. C’est éreinté, recherché ; toutes les ficelles sont en jeu. On sent un cerveau qui a pris des cantharides. Érection de mauvaise nature, comme celle des gens qui ont les reins cassés. Ah ! ils sont vieux tous ces grands hommes, ils sont vieux, ils bavachent sur leur linge. Ils ont fait tout ce qu’il faut pour cela, du reste.

Sois tranquille, le jeune homme aura son paquet, non pas par moi (ça pourrait être jugé partial), mais par Bouilhet qui s’en charge.

J’irai après-demain à Rouen pour toi et huit jours après nous nous verrons donc ! Comme je te serrerai dans mes bras avec plaisir, comme je t’embrasserai ! Adieu, chère Louise bien-aimée, mille baisers sur les yeux et sous le col.

Je te rapporterai tous tes livres et journaux. Je t’écrirai samedi ou dimanche pour te dire le jour précis de mon arrivée.


  1. Voir Correspondance, II, p. 353.
  2. Émaux et Camées.