Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
DE GUSTAVE FLAUBERT.

a duré plus d’une heure. Placé derrière, je voyais le cercueil osciller avec un mouvement de barque qui remue au roulis. L’office a été atroce de longueur. Au cimetière, la terre était grasse. Je me suis approché sur le bord et j’ai regardé une à une toutes les pelletées tomber. Il m’a semblé qu’il en tombait cent mille. Pour revenir à Rouen, je suis monté sur le siège avec Bouilhet. La pluie tombait raide. Les chevaux allaient au galop ; je criais pour les animer. L’air m’a fait grand bien. J’ai dormi toute cette nuit et je puis dire toute cette journée. Voilà ce que j’ai vécu depuis mardi soir. J’ai eu des aperceptions inouïes et des éblouissements d’idées intraduisibles. Un tas de choses me sont revenues, avec des chœurs de musique et des bouffées de parfums. Jusqu’au moment où il lui a été impossible de rien faire, il lisait Spinoza jusqu’à une heure du matin, tous les soirs, dans son lit. Un de ces derniers jours, comme la fenêtre était ouverte et que le soleil entrait dans sa chambre, il a dit : « Fermez-la, c’est trop beau ! c’est trop beau ! » Il y a des moments, cher Max, où j’ai singulièrement pensé à toi et où j’ai fait de tristes rapprochements d’images.

Adieu, je t’embrasse et j’ai grande envie de te voir, car j’ai besoin de dire des choses incompréhensibles.


219. À ERNEST CHEVALIER.
Croisset, lundi 10 [avril 1848].

J’attendais toujours à t’écrire, mon brave Ernest, pour te donner des nouvelles définitives de ce pauvre Alfred. Tout est fini maintenant ! Il est mort