Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81
DE GUSTAVE FLAUBERT.

tout vu. Vous comprenez, n’est-ce pas ? C’est à l’artiste que je m’adresse.

Quoi qu’il advienne, comptez toujours sur moi. Quand même nous ne nous écririons plus, quand même nous ne nous reverrions plus, il y aura toujours entre nous un lien qui ne s’effacera pas, un passé dont les conséquences subsisteront.

Ma monstrueuse personnalité, comme vous le dites si aimablement, n’est pas telle qu’elle efface en moi tout sentiment honnête, humain, si vous aimez mieux. Un jour, peut-être, vous le reconnaîtrez et vous vous repentirez d’avoir dépensé, à propos de moi, tant de chagrin et tant d’amertume.

Adieu, je vous embrasse.

À vous.

218. À MAXIME DU CAMP.
Croisset, 7 avril 1848.

Alfred est mort lundi soir, à minuit. Je l’ai enterré hier. Je l’ai gardé pendant deux nuits. Je l’ai enseveli dans son drap, je lui ai donné le baiser d’adieu et j’ai vu souder son cercueil. J’ai passé là deux jours larges. En le gardant, je lisais les Religions de l’antiquité de Kreutzer. La fenêtre était ouverte, la nuit était superbe, on entendait les chants du coq et un papillon de nuit voltigeait autour du flambeau. Jamais je n’oublierai tout cela, ni l’air de sa figure ni, le premier soir, à minuit, le son éloigné d’un cor de chasse qui m’est arrivé à travers les bois. Le mercredi j’ai été me promener tout l’après-midi avec une chienne qui m’a suivi sans que je l’aie appelée. Cette chienne l’avait pris en affection et l’accompagnait