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DE GUSTAVE FLAUBERT.

croire). Mais je vivrai comme je vis, toujours souffrant des nerfs, cette porte de transmission entre l’âme et le corps, par laquelle j’ai voulu peut-être faire passer trop de choses.

Ma nature, comme tu dis, ne souffre pas du régime que je mène, parce que je lui ai appris, de bonne heure, à me laisser tranquille. On s’habitue à tout, à tout, je le répète. À 15 ans j’ai passé un mois à ne faire que deux repas par semaine. De 21 ans à 24, deux ans et demi se sont écoulés sans que j’aie visité Paphos, et le singulier de tout cela c’est qu’il n’y a ni parti pris, ni entêtement. Cela se fait je ne sais pourquoi, apparemment parce qu’il faut que ça se fasse. Je n’ai jamais éprouvé, pour vivre, la nécessité de la compagnie de personne. Le désir, oui ; mais le besoin ?

Si j’étais riche, c’est-à-dire si j’avais le moyen de m’entourer de statues, de musique et de fleurs, si j’avais enfin la réalisation, et on l’a, quoi qu’on en dise, avec de l’argent quand on sait s’en servir, il est probable que j’en arriverais à ne plus manger que du pain sec et à ne plus dormir, car je n’aurais plus ni faim ni sommeil.

Moi aussi, comme toi, j’éprouve qu’il me faudrait parfois une bonne brise sur le visage.

Au coin de mon feu je rêve des voyages, des courses à n’en plus finir par le monde et, plus triste ensuite, je me remets à mon travail. Mon apathie à me mouvoir, à l’action en général, quelle qu’elle soit, augmente. Voilà trois semaines que nous sommes ici à R[ouen]. Je n’ai, depuis ce temps, pris l’air que sur mon balcon. Je refais cependant des armes, avec furie même. C’est trois demi-heures de rage furieuse par semaine. Après