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CORRESPONDANCE

assez. Tu as bien l’amour de l’Art, mais tu n’en as pas la religion. Si tu goûtais une délectation profonde et pure dans la contemplation des chefs-d’œuvre, tu n’aurais pas parfois sur leur compte de si étranges réticences. Telle que tu es pourtant, on ne peut pas s’empêcher d’avoir pour toi une tendresse et une propension involontaires.

Adieu, le tien.


212. À LOUISE COLET.

Entièrement inédite.

Mardi midi. [Rouen, sans date]

Tu m’engages à ne pas t’écrire si ça m’ennuie, ou puisque ça m’ennuie, dis-tu. Je suivrais ce conseil, s’il était bien vrai que cela m’assommât, pour me servir de ton mot, « ne sachant point souffrir contradiction ni débat chez moi ». Ce serait du reste assez mal ; car, n’aurais-je pas pour toi le plus petit sentiment, après tout ce que tu me donnes je devrais toujours m’efforcer de t’en rendre quelque chose. Et c’est parce que je ne m’efforce pas et que je ne me fouette pas que je te parais si cruellement froid et si étrangement insensible.

Il est permis de tout faire, si ce n’est faire souffrir les autres ; voilà toute ma morale. Mais quand les autres souffrent malgré vous ? Quand cela est le résultat d’une volonté fatale et au-dessus de la nôtre, et comme la pure expression de la constitution interne de la vie, que dire ? Que faire ? Quel remède ?

Le caillou peut se plaindre quand il est écrasé