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DE GUSTAVE FLAUBERT.

d’occupations. S’il a eu un autre motif pour rompre avec toi, il ne me l’a pas dit. Maintenant quant à te nuire vis-à-vis de moi, détrompe-toi : il ne m’a jamais donné sur ce chapitre aucun conseil ni avis. Au contraire il m’a dit toujours que tu m’aimais beaucoup. Voilà la vérité simple et pure. N’en parlons plus si ça t’est indifférent.

Je t’ai dit que j’irais voir pour ton drame. J’irai. Si tu veux me l’envoyer pour le lire, envoie-le moi à la fin de ce mois. J’aurai fini mon voyage et pourrai l’étudier plus tranquillement.

Tu es tellement disposée à tout prendre mal que cette expression de « vieille amie », que j’avais crue affectueuse, tu y as vu une intention ironique et tu me la répètes pour me le faire sentir. Tu ajoutes que je serais piqué si je te savais avoir cette paix du cœur que je te souhaite. Ah tu me connais mal ! Tu ne me connais guère. On dit que c’est le premier amour qui est le plus fort. Je me rappelle celui-là, quoique ce soit de l’histoire bien ancienne et que c’est si vieux qu’il me semble que ce n’est pas moi qui l’ai eu. Eh bien, dans ce temps-là, la femme que j’aimais m’aurait dit d’aller à trente lieues lui chercher un homme, j’y serais parti en courant et j’aurais été heureux de son bonheur. Il est vrai que je n’ai jamais été jaloux et qu’on m’a toujours accusé de n’avoir pas d’âme. Et tu crois que maintenant, maintenant, après toutes les pluies qui m’ont tanné le cuir, je te tourmente à plaisir, que je pose et que je grimace ! Ah ma foi non ! J’en aurais l’intention, que le courage me manquerait. Je ne suis ni chaste, ni fort, mais faible et malléable : un rien m’émeut. Que ne suis-je insensible, au contraire ! Je n’aurais pas eu,