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DE GUSTAVE FLAUBERT.

découvre de difficultés à écrire les choses les plus simples, et plus j’entrevois le vide de celles que j’avais jugées les meilleures. Heureusement que mon admiration des maîtres grandit à mesure et, loin de me désespérer par cet écrasant parallèle, cela ravive au contraire l’indomptable fantaisie que j’ai d’écrire.

Vous parlez de la Cléopâtre de Mme de Girardin. J’ai lu cette ratatouille et je trouve que votre jugement est encore bien favorable sur elle. Où diable aussi s’aller attaquer à des sujets pareils ? Il y a des idées tellement lourdes d’elles-mêmes qu’elles écrasent quiconque essaie de les soulever. Les beaux sujets font les œuvres médiocres.

Byron a échoué à Sardanapale. Quel est le peintre qui rendra la figure de César ? Et puis il a été donné à l’antiquité de produire des êtres qui ont, du fait de leur seule vie, dépassé tout rêve possible. Ceux qui les veulent reproduire ne les connaissent pas ; voilà ce que ça prouve. Quand on est jeune, on se laisse tenter volontiers par ces resplendissantes figures dont l’auréole arrive jusqu’à vous ; on tend les bras pour les rejoindre, on court vers elles… et elles reculent, elles reculent, elles montent dans leurs nuages, elles grandissent, elles s’illuminent et, comme le Christ aux apôtres, vous crient de ne pas chercher à les atteindre.

Je suis curieux de voir les remarques du Philosophe sur votre drame (et le drame lui-même, bien entendu). C’est un homme de goût, dans ce qu’il écrit du moins, et auquel il me semble que j’aurais confiance. Ne négligez rien, travaillez, refaites et ne laissez là l’œuvre que lorsque vous aurez la conviction de l’avoir amenée à tout le