Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
CORRESPONDANCE

202. À LOUISE COLET.

Entièrement inédite.

La Bouille. Vendredi soir.

Je reçois de Croisset votre lettre d’avant-hier. Encore des larmes, des récriminations et, ce qui est plus drôle, des injures. Et tout cela parce que je ne suis pas venu à un rendez-vous que je n’avais pas promis.

Vous me direz qu’il était entendu tacitement entre nous que je devais m’y rendre. Mais si je n’ai pu, s’il existait des motifs que vous ne pouviez connaître ? Alors que dans la colère égoïste de votre amour vous m’envoyez de si belles choses, s’il y avait des obstacles enfin, des obstacles insurmontables…

N’importe, n’est-ce pas ? Vous vous souciez fort peu de tout ce qui m’arrive. Qu’importe l’état où je suis ? Du moment que je ne quitte pas tout pour vous, j’ai tort, j’ai tort, et toujours tort.

Ah Louise ! vous dites que vous me plaignez ; eh bien, je vous plains aussi, car vous m’avez appris une triste chose : c’est qu’il y a tout autant d’amertume et de misères dans l’amour heureux que dans l’amour dédaigné.

Goutte à goutte, vous me les avez toutes distillées de façon, je vous jure, à n’en pas perdre le souvenir. Vous ne voulez pas du sentiment que j’ai pour vous, de cette pitié insultante qui ne provient, selon vous, que du remords. Ah ! vous parlez à un sourd. Je ne crois pas au remords. C’est un mot de mélodrame que je n’ai jamais cru vrai.