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CORRESPONDANCE

sens attaché, plus je me tourne et me retourne avec fureur du côté du soleil et de l’air, (Tu m’accuses dans ton cœur de n’avoir pas même le désir de te voir. Mais quand même tu ne serais pas toi, n’importe d’où il me viendrait, crois-tu qu’un peu d’amour ne me serait pas bon ?) et je me demande : quand tout lien sera brisé, quand j’aurai donné sur ma ville la malédiction de l’adieu, où irai-je ?

Si tu savais, après tout, quelle est ma vie ! Quand je descends le soir après une journée de huit heures de travail, la tête remplie de ce que j’ai lu ou écrit, préoccupé, agacé souvent, je m’assois, pour manger, en face de ma mère qui soupire en pensant aux places vides, et l’enfant se met à crier ou à pleurer ! Souvent, maintenant, elle a, dans ses indispositions, des attaques de nerfs, mêlées d’hallucinations comme j’en avais ; et c’est moi qui suis là, méthode peu curative pour mon propre compte ; et pour finir c’est mille autres choses encore.

Mon frère et sa femme se conduisent à peu près aussi indélicatement que possible. J’ai pris le parti d’avaler tout pour faire croire aux autres que les pilules sont bonnes, mais il y en a de dures à digérer. Tout ça me fournit par moment des aspects très grotesques que je me plais à étudier ; c’est une compensation au moins. Et enfin mon beau-frère est revenu tout à coup d’Angleterre dans un état mental déplorable. Il joue [avec] son enfant de manière à la tuer (ce à quoi je m’attends) et ma mère est dans des angoisses perpétuelles, de sorte qu’il faut toujours être là, ou avec lui, ou avec elle, ou avec eux.