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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Farceurs ! farceurs ! et triples saltimbanques ! qui font le saut du tremplin sur leur propre cœur pour atteindre à quelque chose.

J’ai eu, aussi, moi, mon époque nerveuse, mon époque sentimentale, et j’en porte encore, comme un galérien, la marque au cou. Avec ma main brûlée j’ai le droit maintenant d’écrire des phrases sur la nature du feu. Tu m’as connu comme cette période venait de se clore, et arrivé à l’âge d’homme. Mais avant, autrefois, j’ai cru à la réalité de la poésie, dans la vie, à la beauté plastique des passions, etc. J’avais une admiration égale pour tous les tapages ; j’en été assourdi et je les ai distingués.

J’aurais pu t’aimer d’une façon plus agréable pour toi, me prendre à ta surface et y rester. C’est longtemps [ce] que tu as voulu. Eh bien non, j’ai été au fond. Je n’ai pas admiré ce que tu montrais, ce que tout le monde pouvait voir, ce qui ébahissait le public. J’ai été au delà et j’y ai découvert des trésors. Un homme que tu aurais séduit et dominé ne savourerait pas, comme moi, ton cœur aimant jusqu’en ses plus petits angles. Ce que je sens pour toi n’est pas un fruit d’été, à peau lisse, qui tombe de la branche au moindre souffle et épate sur l’herbe son jus vermeil. Il tient au tronc, à l’écorce dure comme un coco, ou garnie de piquants comme les figues de Barbarie. Cela vous blesse les doigts, mais contient du lait. Quel beau temps, Louise, comme le soleil brille ! Tous mes volets sont fermés ; je t’écris dans l’ombre. Voilà deux ou trois bien belles nuits. Quels clairs de lune ! Je me sens en bon état physique et moral et j’espère que ma Bovary va reprendre un peu.