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DE GUSTAVE FLAUBERT.

y mettra son orgueil. Les femmes à prétentions justes se laissent prendre à ces sophismes, et l’on blague, l’on blague les larmes aux yeux. Enfin, comme bouquet du feu d’artifice, éblouissement de la débauche, les démons de feu (pour dire les garces), etc., etc. Mais j’ai donné dans tout cela aussi moi ! à 18 ans ! J’ai cru également que l’alcool et le bordel inspiraient. J’ai quelquefois, comme ce grand homme, mangé en un seul coup beaucoup d’argent à des processions mythologiques, mais j’ai trouvé tout cela aussi bête que le reste et aussi vide. Il faut être un piètre homme pour s’y tenir ; on en est bien vite rebattu. Si je suis, sous le rapport vénérien, un homme si sage, c’est que j’ai passé de bonne heure par une débauche supérieure à mon âge et intentionnellement, afin de savoir. Il y a peu de femmes que, de tête au moins, je n’ai déshabillées jusqu’au talon. J’ai travaillé la chair en artiste et je la connais. Je me charge de faire des livres à en mettre en rut les plus froids. Quant à l’amour, ç’a été le grand sujet de réflexion de toute ma vie. Ce que je n’ai pas donné à l’art pur, au métier en soi, a été là ; et le cœur que j’étudiais, c’était le mien. Que de fois j’ai senti à mes meilleurs moments le froid du scalpel qui m’entrait dans la chair ! Bovary (dans une certaine mesure, dans la mesure bourgeoise, autant que je l’ai pu, afin que ce fût plus général et humain) sera sous ce rapport, la somme de ma science psychologique et n’aura une valeur originale que par ce côté. En aura-t-il ? Dieu le veuille !

Tu me racontes au moins quelque chose, toi, dans tes lettres. Mais que puis-je te dire, que t’en-