Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
453
DE GUSTAVE FLAUBERT.

demander aux autres : ni considération, ni honneur, ni estime même. Ils se passeront donc de mes lumières. Je leur demande en revanche qu’ils ne m’empoisonnent pas de leurs chandelles. C’est pourquoi je me tiens à l’écart.

Pour ce qui est de les aider, je ne refuserai jamais un service, quel qu’il soit. Je me jetterais à l’eau pour sauver un bon vers ou une bonne phrase, n’importe de qui. Mais je ne crois pas pour cela que l’humanité ait besoin de moi, pas plus que je n’ai besoin d’elle.

Modifie encore cette idée, à savoir que, si je suis seul, je ne me contente pas de moi-même. C’est quand je le serai, content de moi, que je sortirai de chez moi, où je ne suis pas gâté d’encouragements. Si tu pouvais voir au fond de ma cervelle, cette phrase, que tu as écrite, te semblerait une monstruosité.

Si ta conscience t’a ordonné de me donner ces conseils, tu as bien fait et je te remercie de l’intention. Mais je crois que tu l’étends aux autres, ta conscience, et que ce brave Louis[1] ainsi que ce bon Théo, que tu associes à ton désir de me façonner une petite perruque pour cacher ma calvitie, se foutent complètement de ma pratique ou, du moins, n’y pensent guère. « La calvitie de ce pauvre Flaubert », ils peuvent en être convaincus ; mais désolés, j’en doute. Tâche de faire comme eux, prends ton parti sur ma calvitie précoce, sur mon irrémédiable encroûtement. Il tient comme la teigne ; tes ongles se casseront dessus. Garde-les pour des besognes plus légères.

  1. Louis de Cormenin.