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CORRESPONDANCE

et d’avoir publié, etc. ? Lorsque tu voulais même, dans un temps, venir habiter une maison voisine de la mienne, à la campagne, ai-je applaudi à ce projet ? T’ai-je jamais conseillé de mener ma vie, et voulu mener ton ingénieuse à la lisière, lui disant : « Mon petit ami, il ne faut pas manger de cela, s’habiller de cette manière, venir ici, etc. ? » À chacun donc ce qui lui convient. Toutes les plantes ne veulent pas la même culture. Et, d’ailleurs, toi à Paris, moi ici, nous aurons beau faire ; si nous n’avons pas l’étoile, si la vocation nous manque, rien ne viendra ; et si au contraire elle existe, à quoi bon se tourmenter du reste ?

Tout ce que tu pourras me dire, je me le suis dit, sois-en sûr, blâme ou louange, bien et mal. Tout ce que tu ajouteras là-dessus ne sera donc la redite d’une foule de monologues que je que sais par cœur.

Encore un mot cependant. Le renouvellement littéraire que tu annonces, je le nie, ne voyant jusqu’à présent ni un homme nouveau, ni un livre original, ni une idée qui ne soit usée (on se traîne au cul des maîtres comme par le passé). On rabâche des vieilleries humanitaires ou esthétiques. Je ne nie pas la bonne volonté, dans la jeunesse actuelle, de créer une école, mais je l’en défie. Heureux si je me trompe ; je profiterai de la découverte.

Quant à mon poste d’homme de lettres, je te le cède de grand cœur, et j’abandonne la guérite, emportant le fusil sous mon bras. Je dénie l’honneur d’un pareil titre et d’une pareille mission. Je suis tout bonnement un bourgeois qui vit retiré à la campagne, m’occupant de littérature, et sans rien