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DE GUSTAVE FLAUBERT.

l’histoire de ta chauve-souris. La superstition est le fond de la religion, la seule vraie, celle qui survit sous toutes les autres. Le dogme est une affaire d’invention humaine. Mais la superstition est un sentiment éternel de l’âme et dont on ne se débarrasse pas. Aujourd’hui, Rouen a été plein de processions, de reposoirs. Quelle bête chose que le peuple ! Jusqu’à présent on a respecté cette idée. Celles de royauté, d’autorité, de droit divin, de noblesse ont été bafouées ; le peuple seul restait debout. Il faut qu’il se traîne si bas dans l’ignominie et la bêtise qu’on le prenne en pitié à son tour et qu’il soit bien reconnu qu’il n’y a rien de sacré. Le siècle m’ennuie prodigieusement. De quelque côté que je me tourne, je n’y vois que misère. Des mots, des mots, et quels mots !

Ce que Gautier dit de Pradier dans le feuilleton que tu m’as envoyé est bien sec ; rien d’ému. Quel éreintement on aperçoit ! C’est qu’à force de jouer du violon sur son cœur, les cordes s’en détendent. Les gens de lettres sont des putains qui finissent par ne plus jouir. Ils traitent l’art comme celles-ci les hommes, lui sourient tant qu’ils peuvent, mais ne l’aiment plus, et tout s’avachit ensemble. Âme et style, poitrine et cœur.

Je me suis gaudy des détails sur la mère R… J’aime toujours à connaître l’envers des choses. À la bonne heure ! je l’estime et la balle du père R… cultivant ses roses est carrée. Le mari aux dehors non poétiques, ayant au fond des goûts plus propres que Madame, j’aime ça ; et jugez ensuite sur l’étiquette ! Depuis qu’il sait qu’elle est légère, Bouilhet est très excité.