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CORRESPONDANCE

322. À LOUISE COLET.

Entièrement inédite.

Dimanche 3 heures [23 mai].

La mauvaise nouvelle que tu m’as envoyée ce matin, pauvre chère amie, ne m’a surpris qu’à moitié. J’avais été hier, pendant toute la journée, dans un état de langueur étrange comme si j’eusse subi le contre-coup des angoisses que tu éprouvais en ce moment. Ne te désespère pas. Remonte-toi. Je sais que cela est plus facile à dire qu’à faire, mais on se sauve de tout par l’orgueil. Il faut de chaque malheur tirer une leçon et rebondir après les chutes.

Pour le drame que tu médites, rumine bien le plan et aie toujours en vue l’action, l’effet. Ils ont trouvé mauvais (pour leur usage) le changement de décoration au second acte. Tu te rappelles que je t’avais fait cette objection. Tout ce qui sort de la ligne commune effraie. « Sus à l’originalité ! » C’est le cri de guerre intérieur de toutes les consciences. Garde ta pièce telle qu’elle est ; la changer serait la gâter. Si l’on ne protégeait pas les arts, au lieu du Théâtre Français il y en aurait dix autres et où tu pourrais te faire jouer. Mais qu’y faire ? Rester dans sa tente et y rebattre sur l’enclume son épée.

Quand tu auras un succès, un jour ou l’autre, tu redonneras ta pièce. D’ici là, garde-la pour toi ; la publier serait la perdre pour l’avenir. Attendre est un grand mot et une grande chose. Je suis aussi découragé que toi pour le moment. Mon