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DE GUSTAVE FLAUBERT.

voit que Werther, qui n’est qu’une des mansardes de cet immense génie. Chateaubriand est comme Voltaire. Ils ont fait (artistiquement) tout ce qu’ils ont pu pour gâter les plus admirables facultés que le bon Dieu leur avait données. Sans Racine, Voltaire eût été un grand poète, et sans Fénelon, qu’eût fait l’homme qui a écrit Velléda et René ! Napoléon était comme eux : sans Louis XIV, sans ce fantôme de monarchie qui l’obsédait, nous n’aurions pas eu le galvanisme d’une société déjà cadavre. Ce qui fait les figures de l’antiquité si belles, c’est qu’elles étaient originales : tout est là, tirer de soi. Maintenant par combien d’étude il faut passer pour se dégager des livres, et qu’il en faut lire ! Il faut boire des océans et les repisser.

Puisque tu admires tant la belle périphrase du père de Pongerville, « le tapis qu’à grands frais Babylone a tissé », je pourrai t’apporter un acte d’une tragédie que nous avions commencée il y a cinq ans, Bouilhet et moi, sur La Découverte de la vaccine[1], où tout est de ce calibre, et mieux. J’avais à cette époque beaucoup étudié le théâtre de Voltaire que j’ai analysé, scène par scène, d’un bout à l’autre. Nous faisions des scénarios, nous lisions quelquefois, pour nous faire rire, des tragédies de Marmontel, et ç’a été une excellente étude. Il faut lire le mauvais et le sublime, pas de médiocre. Je t’assure que, comme style, les gens que je déteste le plus m’ont peut-être plus servi les autres. Que dis-tu de ceci pour dire un bonnet grec :

Pour sa tête si chère
Le commode ornement dont la Grèce est la mère,

  1. Voir Œuvres de jeunesse inédites, III, p. 339.