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CORRESPONDANCE

que la science deviendra artistique. Tous deux se rejoindront au sommet après s’être séparés à la base. Aucune pensée humaine ne peut prévoir maintenant à quels éblouissants soleils écloreront les œuvres de l’avenir. En attendant, nous sommes dans un corridor plein d’ombre ; nous tâtonnons dans les ténèbres. Nous manquons de levier ; la terre nous glisse sous les pieds ; le point d’appui nous fait défaut à tous, littérateurs et écrivailleurs que nous sommes. À quoi ça sert-il ? À quel besoin répond ce bavardage ? De la foule à nous, aucun lien. Tant pis pour la foule, tant pis pour nous surtout. Mais comme chaque chose a sa raison, et que la fantaisie d’un individu me paraît tout aussi légitime que l’appétit d’un million d’hommes, et qu’elle peut tenir autant de place dans le monde, il faut, abstraction faite des choses et indépendamment de l’humanité qui nous renie, vivre pour sa vocation, monter dans sa tour d’ivoire et là, comme une bayadère dans ses parfums, rester seuls dans nos rêves. J’ai parfois de grands ennuis, de grands vides, des doutes qui me ricanent à la figure au milieu de mes satisfactions les plus naïves. Eh bien ! je n’échangerais tout cela pour rien, parce qu’il me semble, en ma conscience, que j’accomplis mon devoir, que j’obéis à une fatalité supérieure, que je fais le Bien, que je suis dans le Juste.

Causons un peu de Graziella. C’est un ouvrage médiocre, quoique la meilleure chose que Lamartine ait faite en prose. Il y a de jolis détails : le vieux pêcheur couché sur le dos avec les hirondelles qui rasent ses tempes, Gr[aziella] attachant son amulette au lit, travaillant au corail, deux ou trois psychiques