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CORRESPONDANCE

leur préférence, on arrive à cette conviction qu’elles sont stupides, ce qui n’est pas. Nous jugeons à notre point de vue, elles au leur. La beauté n’est pas pour la femme ce qu’elle est pour l’homme. On ne s’entendra jamais là-dessus, ni [sur] l’esprit, ni [sur] le sentiment, etc.

Je me suis trouvé une fois avec plusieurs drôles (assez vieux) dans un lieu infâme. Tous certes étaient plus laids que moi, et celui à qui ces dames firent meilleure mine était franchement vilain (explique-moi ça, ô Aristote !). Et il n’est pas question ici de dons de l’âme, poésie de langage ou force d’idées, mais du corps, de ce qui est appréciable à l’œil et au reniflement des sens. Interroge n’importe quel ex-bel homme et demande-lui si, couché quelquefois avec une femme, il en a jamais trouvé qui se soient extasiées sur les lignes de son bras ou les muscles de sa poitrine. Quel abîme que tout cela ! Et qu’importe le vase ? C’est l’ivresse qui est belle (il y a là-dessus un beau vers[1] dans Melaenis). L’important, c’est de l’avoir.

Qu’elle s’amuse avec son beau Enault, cette pauvre petite mère R…, qu’elle jouisse, triple jouisse, et fasse monter au gars R… des cornes grandes comme des cèdres, tant mieux !

La contemplation de certains bonheurs dégoûte du bonheur : quel orgueil ! C’est quand on est jeune surtout que la vue des félicités vulgaires vous donne la nausée de la vie : on aime mieux crever de faim de se que gorger de pain noir. Il y a bien des vertus qui n’ont pas d’autre origine.

  1. « Qu’importe le berceau, quand l’Olympe est vermeille, » Melaenis, chant 1er , p. 150, éd. Lemerre.