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DE GUSTAVE FLAUBERT.

publie, on descend de son œuvre. La pensée de rester toute ma vie complètement inconnu n’a rien qui m’attriste. Pourvu que mes manuscrits durent autant que moi, c’est tout ce que je veux. C’est dommage qu’il me faudrait un trop grand tombeau ; je les ferais enterrer avec moi comme un sauvage fait de son cheval.

Ce sont ces pauvres pages-là, en effet, qui m’ont aidé à traverser la longue plaine. Elles m’ont donné des soubresauts, des fatigues aux coudes et à la tête. Avec elles j’ai passé des orages, criant tout seul dans le vent et traversant, sans m’y mouiller seulement les pieds, des marécages où les piétons ordinaires restent embourbés jusqu’à la bouche.

J’ai parcouru rapidement le premier acte de l’Institutrice. J’y ai vu beaucoup de ça, dont tu abuses encore plus que moi. Je te la renverrai à la fin de la semaine avec des remarques. Le volume de d’Arpentigny sera dans le paquet.

C’est un homme héroïque, ce brave homme-là. À quelque jour sa femme de ménage le trouvera, un matin, glacé dans son lit et, la veille, il aura dîné en ville où il aura dit des galanteries, conté des histoires, été le plus aimable de la compagnie. Je suis sûr qu’il souffre quelquefois beaucoup. Comme les vieilles coquettes il crèvera dans son corset (je veux dire sa bonne tenue), plutôt que d’avouer qu’il lui faudrait retirer ses bottes et passer son bonnet de coton.

Ne t’inquiète pas de la page, elle fait partie d’un chapitre de Du Camp. Mets-la à part. Tâche de te procurer le dernier numéro de la Revue ; le chapitre de Max qui y est est, avec Tagahor, ce qu’il a mis là de plus écrit.