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DE GUSTAVE FLAUBERT.

compris cela, va, et ce que tu as ressenti. Je t’embrasse sur le cœur pour la peine que tu as eue.

Il y a malentendu entre nous deux. Il me semble que successivement je t’avais dit que j’attendrais de tes lettres à Brest, à Saint-Malo, à Rennes. Ainsi je serai encore à Rennes dans quatre ou cinq jours, puis à Fougères, à Caen et à Trouville. Je reviendrai à Croisset pour regretter mon voyage, comme cela arrive toujours. Je vais tâcher, cet hiver, de travailler assez violemment. J’ai à lire Swedenborg et sainte Thérèse. Je recule mon Saint Antoine. Ma foi, tant pis. Quoique je n’aie jamais compté faire là-dessus quelque chose de bon, plutôt ne rien écrire que de se mettre à l’œuvre à demi préparé.

Je suis curieux de voir ton drame. Quand comptes-tu le présenter ? Puisque nous en sommes sur le métier, je vais te donner ce qui s’appelle un conseil d’ami, et d’ami qui connaît ce dont il parle, hélas ! Si Beauvallet vient à Rouen et qu’il y joue ta Charlotte Corday, je crois, vu l’intelligence de mes chers concitoyens, qu’il fera, comme on dit, un four, c’est-à-dire qu’il n’y viendra personne ou qu’on sifflera. Que Beauvallet interroge tous ses camarades ; s’ils sont sincères, et qu’ils lui disent le contraire, je veux bien que le Diable m’étouffe. D’abord :

1o Tout ce qui est vers est sifflé à Rouen ; 2o tout ce qui est beau ; 3o les cochonneries seules réussissent.

Voilà mon opinion, et ancrée si avant dans mon individu que, si jamais je faisais quelque chose pour la scène, je défendrais qu’on le jouât sur le théâtre du pays qui me donna le jour.