Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/384

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
378
CORRESPONDANCE

d’Arpentigny. Je n’étais pas convaincu qu’elle fût spirituelle, mais je ne me doutais guère qu’elle fût blessante et atroce surtout. Est-ce là ce qui avait rendu ta lettre si triste ?

Tu n’as guère le mot pour rire, si de semblables sottises t’importent. Moi je ris de tout, même de ce que j’aime le mieux. Il n’est pas de choses, faits, sentiments ou gens, sur lesquels je n’aie passé naïvement ma bouffonnerie, comme un rouleau de fer à lustrer les pièces d’étoffes. C’est une bonne méthode. On voit ensuite ce qui en reste. Il est trois fois enraciné dans vous le sentiment que vous y laissez, en plein vent, sans tuteur ni fil de fer, et débarrassé de toutes ces convenances si utiles pour faire tenir debout les pourritures. Est-ce que la parodie même siffle jamais ? Il est bon et il peut même être beau de rire de la vie, pourvu qu’on vive. Il faut se placer au-dessus de tout et placer son esprit au-dessus de soi-même, j’entends la liberté de l’idée, dont je déclare impie toute limite. Si cette longue glose pédantesque ne te satisfait pas, je te demande pardon de ma maladresse et t’embrasse sur tes deux yeux que j’ai peut-être fait pleurer. Pauvre cœur, pourquoi me troubles-tu une si bonne tête ? Et c’est pourtant ce voisin envahissant qui m’a reçu, qui me garde et qui m’admire.

N’importe, tu m’as dit, il y a aujourd’hui quinze jours, sur le Pont-Royal, en allant dîner, un mot qui m’a fait bien plaisir, à savoir que tu t’apercevais qu’il n’y avait rien de plus faible que de mettre en art ses sentiments personnels. Suis cet axiome pas à pas, ligne par ligne. Qu’il soit toujours inébranlable en ta conviction, en disséquant