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CORRESPONDANCE

qui m’entoure immédiatement. Je me considère comme ayant quarante ans, comme ayant cinquante ans, comme ayant soixante ans. Ma vie est un rouage monté qui tourne régulièrement. Ce que je fais aujourd’hui, je le ferai demain, je l’ai fait hier. J’ai été le même homme il a dix ans. Il s’est trouvé que mon organisation est un système ; le tout sans parti pris de soi-même, par la pente des choses qui fait que l’ours blanc habite les glaces et que le chameau marche sur le sable. Je suis un homme-plume. Je sens par elle, à cause d’elle, par rapport à elle et beaucoup plus avec elle. Tu verras à partir de l’hiver prochain un changement apparent. Je passerai trois hivers à user quelques escarpins. Puis je rentrerai dans ma tanière où je crèverai obscur ou illustre, manuscrit ou imprimé. Il y a pourtant au fond quelque chose qui me tourmente, c’est la non-connaissance de ma mesure. Cet homme qui se dit si calme est plein de doutes sur lui-même. Il voudrait savoir jusqu’à quel cran il peut monter et la puissance exacte de ses muscles. Mais demander cela, c’est être bien ambitieux, car la connaissance précise de sa force n’est peut-être autre que le génie. Adieu, mille baisers depuis l’épaule jusqu’à l’oreille. Garde tous mes manuscrits. Je t’apporterai moi-même la Bretagne.

À toi.

308. À LOUISE COLET.

Entièrement inédite.

8 février.

Tu es donc, décidément, enthousiaste de Saint Antoine, toi. Enfin ! j’en aurai toujours eu un !