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DE GUSTAVE FLAUBERT.

dépensées tout d’un coup. J’en voudrais avoir quelque chose maintenant.

Me voilà revenu à Croisset, auprès de mon feu, et bûche moi-même. Je suis recourbé sur mon travail acharné. J’ai abandonné toute idée de tapage quelconque. Ce que j’en fais est pour moi, pour moi seul, comme on joue aux dominos afin que la vie ne vous soit pas trop à charge. Si je publie (ce dont je doute), ce sera uniquement par esprit de condescendance vis-à-vis de ceux qui me le conseillent, pour n’avoir pas l’air d’un orgueilleux, d’un ours entêté. Rien de plus monotone que ma vie ; elle s’écoule plus uniforme à l’œil que la rivière qui passe sous mes fenêtres. La petite fille apporte un peu de gaieté dans la maison. Quant à ma mère, elle vieillit de corps et d’humeur. Un désœuvrement triste l’envahit, avec les insomnies qui l’épuisent. Moi, je suis là entre eux deux. Le dimanche seulement Bouilhet vient ; je cause un peu et puis J’en ai pour huit jours.

En fait de nouvelles, j’ai été au mois d’octobre à l’Exposition de Londres, qui était une fort belle chose, quoique admirée de tout le monde. J’ai passé dernièrement six semaines à Paris et j’ai manqué d’être assommé plusieurs fois lors du coup d’État.

L’ami Bouilhet vient de débuter avec éclat dans la Revue de Paris[1] par un conte romain (Melaenis) qui l’a posé de suite, parmi les artistes, au premier rang ou tout au moins immédiatement au second. Je n’en doutais du reste nullement. Quant au sieur Du Camp, sa Revue de Paris marche bien.

  1. Numéro de novembre 1851.