Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
CORRESPONDANCE

avons eu de beaux moments à l’ombre des vieux châteaux ; nous avons fumé de longues pipes dans mainte douve effondrée, toute couverte d’herbes et parfumée par la senteur des genêts, et puis la mer, la mer ! le grand air, les champs, la liberté, j’entends la vraie liberté, celle qui consiste à dire ce qu’on veut, à penser tout haut à deux, et à marcher à l’aventure, en laissant derrière vous le temps passer sans plus s’en soucier que de la fumée de votre pipe qui s’envole.

Il paraît, toi, mon pauvre vieux ministère public, que tes amis les bandits t’embêtent toujours démesurément et que tu en as plein le c.., avant qu’un de ces beaux matins il ne t’arrive d’en avoir plein le dos ou plein la poitrine, ce que je ne souhaite nullement. Aux vacances enfin nous pourrons tailler une petite bavette et contempler réciproquement nos deux balles. Réponds-moi à Croisset où je serai dans environ 3 semaines. J’y vais reprendre mon train de vie habituelle, mon grec et mes bouquins, mes savates et mon pantalon large.

Si la Corse te possède encore l’été prochain, tu auras l’honneur probablement d’y recevoir le jeune Maxime Du Camp, qui se propose de voir en même temps la Sardaigne. Je voudrais bien l’accompagner et tomber un beau matin dans ton parquet pour casser et briser tout, roter derrière la porte, renverser les encriers et ch… devant le buste de S. M., faire enfin l’entrée du « Garçon ». À propos, pendant que j’y pense, connais-tu quelqu’un qui voudrait faire avec Paris le commerce de gourdes corses ? C’est un drôle de ma connaissance, M. Godillot, fondateur du bazar du voyage,