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DE GUSTAVE FLAUBERT.

dans mon livre c’est l’élément amusant, qui y est médiocre. Les faits manquent. Moi, je soutiens que les idées sont des faits ; il est plus difficile d’intéresser avec, je le sais ; mais alors c’est la faute du style. J’ai ainsi maintenant cinquante pages d’affilée, où il n’y a pas un événement, c’est le tableau continu d’une vie bourgeoise et d’un amour inactif ; amour d’autant plus difficile à peindre qu’il est à la fois timide et profond, mais hélas ! sans échevelements internes, parce que mon monsieur est d’une nature tempérée. J’ai déjà eu dans la première partie quelque chose d’analogue. Mon mari aime sa femme un peu de la même manière que mon amant. Ce sont deux médiocrités dans le même milieu et qu’il faut différencier pourtant. Si c’est réussi, ce sera, je crois, très fort, car c’est peindre couleur sur couleur et sans ton tranché (ce qui est plus aisé). Mais j’ai peur que toutes ces subtilités n’ennuient et que le lecteur n’aime autant voir plus de mouvement. Enfin il faut faire comme on a conçu. Si je voulais mettre là dedans de l’action, j’agirais en vertu d’un système, et je gâterais tout. Il faut chanter dans sa voix ; or la mienne ne sera jamais dramatique ni attachante. Je suis convaincu d’ailleurs que tout est affaire de style, ou plutôt de tournure, d’aspect. Nouvelle ! Le jeune Du Camp est officier de la Légion d’honneur ! Comme cela doit lui faire plaisir ! Quand il se compare à moi et considère le chemin qu’il a fait depuis qu’il m’a quitté, il est certain qu’il doit me trouver bien loin de lui en arrière et qu’il a fait de la route (extérieure). Tu le verras, à quelque jour, attraper une place et laisser là cette bonne littérature. Tout se confond dans sa tête, femme,