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CORRESPONDANCE

Je suis un rustre de me plaindre devant vous. Mais est-ce que je me plains ? Enfin, c’est fini, n, i, ni ; n’en parlons plus.

Vous avez dû recevoir une petite lampe hier au soir. Je viendrai demain soit dans la journée ou le soir, mais plus probablement le soir, avec un visage gai, un esprit gai, un costume gai, tout à neuf, comme il convient pour la solennité du jour.

À vous qui m’aimez comme un arbre aime le vent ; à vous pour qui j’ai dans le cœur quelque chose de long et de doux, quelque chose d’ému, et de reconnaissant qui ne périra pas ; à toi, pauvre femme que je fais tant pleurer et que je voudrais tant faire sourire, bonne âme qui pansez le lépreux, quoique la lèpre n’ait pas besoin d’être pansée et que le lépreux s’en fâche parfois, je te souhaite tout ce que je n’ai pas, la sérénité d’esprit, la foi en soi et tout ce qui fait qu’on est content de vivre. Je te souhaite l’ébranchage de toutes les épines de la vie et des allées sablées à marcher, bordées de fleurs, avec des bruits de ruisseau, des roucoulements de colombes dans les branches et de grands vols d’aigles dans les nuages.

Il ne faut désespérer de rien. Il y a trois ans, l’an 1849, à minuit, je pensais à la Chine et l’an 1850, à minuit, j’étais sur le Nil. C’était sur la route. C’était un à peu près, c’était autre chose. Enfin, qui sait ? N’espérons pas, mais attendons.

Adieu, à demain.